2017/10/15-21 Les Pouilles
Pouilles (Puglia, Apulie) et Basilicate
(15 – 21 octobre 2017)
L’ange au glaive vint dans la grotte
Il y a plus de mille ans
Depuis les foules courent
Le prince des anges
Leur ouvrira-t-il les portes du ciel ?
De toute leur ferveur archaïque
elles descendent dans la caverne
comme les chrétiens des catacombes
Voyage au centre de la foi des cavernes
Les marchands de Padre et de saints en profitent
Moi qui ne crois pas
tant de foi m’impressionne
Quel dragon les poursuit
de quoi ont-ils peur?
(Monte Sant’Angelo, mont Saint-Michel apulien)
Les boyaux du sanctuaire
se vident et se remplissent
d’une matière humaine
qui se croit pècheresse
Sur le mont de l’archange
les nourritures sont spirituelles
Dans l’assiette, c’est la frugalité
(Palace hôtel San Michele)
La forêt des ombres
abrite daim et vaches en liberté
(Forêt du Gargano)
Du château à l’église
l’éventail blanc de la ville
(Vieste)
Frêles esquifs en saillie sur les eaux
pour pêcher immobiles
les denrées de la mer
(Les trabucchi, trébuchets, plateformes de pêche : “Un trabucco est une machine à pêcher, composée essentiellement par un ensemble de mâts, lancés au dessus de la mer, …, comme une gigantesque machine de siège posée à la pointe du promontoire, dressée contre le banc de nuages..” Roger Vailland, “La Loi”, 1957)
Le bateau se faufile
dans des grottes impénétrables
Les vrais piliers de la falaise
Les uns y voient leur pays
d’autres leur saint
Les grottes reflètent les identités
(Dans une grotte marine de Vieste, on montre le visage de Padre Pio, comme en Corse on montre les contours de l’île de Beauté dans une ouverture au plafond d’une grotte de Bonifacio)
Pays en creux
où la lumière cherche dans l’ombre
des couleurs secrètes
des turquoises inédites
et des images saintes
Pays en creux
où le silence bruit
du silence de la mer
où un cheval de pierre
tente de boire la mer
(Côte et grottes marines de Vieste)
Sur la page blanche de la falaise
des filons de silex noir
L’or premier des hommes
Des ermitages byzantins
habitent les versants abrupts de la gorge
Là haut un monastère
dans la courbe de la falaise
Il a quelque chose de tibétain
(Monastère et ermitages de Pulsano)
Elle a posé son mât sur la mer
cette cathédrale
Mais elle vise le grand large du ciel
(Trani)
De face, c’est un miroir
un éclat de soleil
De dos, une forteresse contre les pirates
Dedans le gardien iconoclaste
pourchasse les chasseurs d’image
(Cathédrale de Trani)
Ah le charme de ces cryptes à colonnes
où se recueillent les eaux
de la foi souterraine
(Crypte romane aux mille colonnes de la cathédrale de Trani)
Nos esprits volètent
comme les mouettes autour du chalutier
Mais sont-ils aussi affamés
(Port de Trani)
Le Poseidon
un peuple d’oiseaux en couple
l’escorte en criant
(Un bateau de pêche rentre au port)
Calme et beauté
règnent sur ce port
Les glaces sont aussi douces
que le son du saxo !
(Trani)
Pour nous Gavots
la lumière d’un port
glissant sur les ailes des mouettes
sera toujours aussi belle
qu’une vitrine de Noël
pour les yeux des enfants
Dans le clair obscur des cryptes
et des saintes cavernes
les images des vierges byzantines
au sourire si doux
murmurent à jamais
psaumes et cantiques
Prosternation des pèlerins aux reliques
d’un vieux monde de croyances antiques
Sous les coupoles
esquissées même dans les grottes
les ors baroques
crient l’espérance du ciel
Mais où est passée la charité ?
(Ermitages de Pulsano, cryptes de Trani et de Bari)
Sur le maquis brûlé
poussent crocus et cazettes
Au loin le château, couronne de l’empire
(Castel del Monte, château de Frédéric de Hohenstaufen (Frédéric II, empereur des Romains, XIIIe siècle)
L’artiste a compris
Ce château n’est pas un château
mais le temple des vanités
où gisent un dieu mort
et des crânes grimaçants
(Exposition de Vanités d’un artiste contemporain)
Trop profondes pour tirer
d’invisibles Tartares
les archères aspirent la lumière
pour éclairer la prison
(Le château de castel del Monte a servi essentiellement de prison)
Au ciel d’une voûte
l’œil d’un faune
surveille le visiteur
(Ancêtre de la vidéosurveillance)
Entre terre et ciel
cette forteresse sans défense
semble faite pour murer le silence
(Une énigme de ce château est qu’il ne dispose pas de système défensif, douves, créneaux, c’est un château tourné vers l’intérieur)
Pour ce château bâti
sous le règne du huit
- plan sacré d’un baptistère
entre le carré de la terre et le cercle du ciel -
et pour son roi souabe
Il faudrait des octosyllabes
(La bastille del Monte a huit cotés, comme un baptistère roman, et huit tours de huit côtés)
Dans la ruelle des orechiettes
les femmes, d’un pouce alerte
écrasent la pâte à pâtes
(Bari, Via Arco Basso)
Ce verger est un musée
Chaque olivier
- œuvre d’art originale -
a sa propre personnalité
(Oliviers pluri centenaires au pied de la colline d’Ostuni)
Je passerais bien mon éternité
au cœur d’un olivier
Ils se jettent sur les arbres
et les dépouillent en deux temps
comme si l’or vert allait s’enfuir
(Les ramasseurs d’olives)
Flottement immobile
d’une pyramide de lumière
La ville est une casbah solaire
(Village perché d’Ostuni)
Son trésor dort dans un couvent
C’est une vierge à l’enfant
vieille de 28 000 ans
Dans le ventre de sa mère
un Christ est mort à Ostuni
(Musée archéologique d’Ostuni, monastère des Carmes : la dame d’Ostuni, mulier sapiens du paléolithique supérieur, est le squelette émouvant d’une femme et de son fœtus)
C’est une petite grotte de bois
portant feuilles et fruits
un olivier millénaire
les pieds sur terre
et un peu dans le ciel
car on le dit immortel
(L’olivier de la masseria Salinola, 1200 ans, Pouilles de luxe)
Les trullis
devraient se souvenir
de leurs origines modestes
et faire un peu moins les coquettes
(Alberobello, maisons en pierre sèche recouvertes de chaux, trop belles pour être vraies)
Les moines byzantins avaient l’âme rocheuse
Ils l’ont peinte en forme d’icônes
dans les églises rupestres
(Falaises de la Murgia, Matéra, Basilicate)
Ermitages, grottes à prière
avec façades ornées comme à Pétra
madones et apôtres
On convoque toute une armée de saints
pour se protéger des envahisseurs
Petite Cappadoce
(Ermitages de Matéra)
Au flanc du précipice
les façades des caves nous observent
par les yeux noirs de leur porte
(D’après Carlo Levi, ”Le Christ s’est arrêté à Eboli”)
Strate par strate
une maison se creuse sur une autre
un quartier s’empile sur un autre
une ville sur une autre
Les toits des uns servent de rue aux autres
on se marche dessus sans s’écraser
Cas unique de géologie urbaine
(Les maisons-grottes des Sassi, quartiers rupestres de Matéra)
Rassemblées par le vent de la misère
les maisons s’entassent
comme un troupeau de brebis à la chaume
(Pouilles de pauvres)
A vivre dans une grotte
avec bêtes et marmaille
on se lasse de mourir de malaria
On cherche alors la lumière
quitte à perdre le voisinage
(Mutation de Matéra : de “Honte nationale” décrétée en1950, à patrimoine de l’Unesco en 1993, elle deviendra capitale européenne de la culture en 2019)
Fouillis inextricable, gruyère de cavités
chaos rupestre organisé
Quels mots pour nommer ce labyrinthe vertical ?
Cette cité de pierre dans la pierre
sortie des profondeurs du temps
laisse pensif l’homme de Matéra
dernier avatar de l’homme des cavernes
Elle rêve à la splendeur de l’herbe
Chaque fleur, chaque arbuste
est un exploit remporté sur la pierre
Cité à la rare verdure
dans quelle oasis géante
se cache ton eau ?
(Palombaro lungo, citerne souterraine d’une capacité de 5000 m3 d’eau)
Epilogue
Ce bel océan vert gorgé de fruits
se changera
par le jeu de la première pression à froid
en mille filets d’or
pour la fortune du pays
(La Pouille est d’abord une mer d’oliviers, 60 millions d’arbre dont la moitié sont séculaires)
Catégorie : Voyages - Séjours - Terminés
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